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DECLARATION DE LA RDPH A L’OCCASION DE LA JOURNEE MONDIALE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE

 

« Améliorer l’environnement économique et social des médias pour assurer leur indépendance et liberté effectives »

Brazzaville-Pointe-Noire, le 3 mai 2011

 

Introduction

 

L’avènement de la démocratie en République du Congo a ouvert un voile sur la promotion et le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Au nombre de ces droits, l’on peut citer le droit à la liberté d’expression et d’opinion qui s’exerce à travers les médias. Ce qui implique de la part de ceux-ci une consécration du droit à la liberté de la presse. Les instruments juridiques internationaux, notamment la Déclaration des droits des peuples et du citoyen de 1789 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, reconnaissent ce droit à la liberté d’expression et d’opinion.

L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme relève que « tout citoyen a droit la liberté d’opinion et d’expression ; ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Au plan interne, la Constitution du 20 janvier 2002 garantit la liberté d’expression et d’opinion. Celle-ci, en effet, dispose à l’article 19, que « tout citoyen a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, l’écrit, l’image ou tout autre moyen de communication. La liberté de l’information et de la communication est garantie. La censure est prohibée. L’accès aux sources d’information est libre. Tout citoyen a droit à l’information et à la communication ». Le souci d’encadrer cette liberté d’expression et d’opinion a permis au législateur congolais de légiférer, notamment avec la loi n° 8-2001 du 12 novembre 2001 sur la liberté de l’information et de la communication.

Une décennie après sa promulgation, la RPDH tente de dresser un état des lieux de la liberté de la presse au Congo en s’interrogeant sur l’état actuel de la liberté de la presse, les mesures à apporter pour que les journalistes jouissent pleinement de ce droit.

 

De l’état actuel de la liberté de la presse

L’un des baromètres d’une société démocratique moderne et d’un Etat de droit est la place réservée à la liberté de la presse. Celle-ci irrigue le champ de l’édification de la démocratie. A ce titre, on ne peut pas parler d’Etat de droit sans liberté de la presse. Plusieurs déterminants, en effet, permettent d’évaluer cette liberté à savoir le cadre juridique ; l’environnement économique et social et la responsabilité des journalistes.

 

Du cadre juridique

La loi congolaise sur la liberté de l’information et de la communication garantit tous les principes de la liberté : la liberté d’entreprendre, le pluralisme des courants de pensées et d’opinions ; le libre accès aux sources d’informations et la dépénalisation des délits de presse. Cette loi compte 422 articles dont 174 réservés à la presse écrite et audiovisuelle. Sur les 174, 56 articles portent sur les peines à infliger aux journalistes en cas d’infraction. Les amendent prévues par cette loi sont plafonnées à trois millions de francs cfa. Ce montant dans la situation actuelle de la presse congolaise est suicidaire et trop lourd.

Le Congo peut se féliciter d’avoir dépénalisé les délits de presse mais « une lourde amende est aussi mortelle qu’un emprisonnement. Dans ce cas, la liberté de la presse n’est-elle pas une liberté en danger de mort ? », comme s’était interrogé Jean Pierre MBERI, lors d’une communication en 2004 en tant Expert de l’Observatoire Congolais des Médias (OCM). La loi a prévu quelques mécanismes pour garantir la liberté de la presse. C’est le cas de l’article 94. Celui-ci prévoit que « le journaliste a droit à une rémunération de nature à garantir son indépendance ». L’article 8 quant à lui note que « les entreprises d’information et de communication publiques ou privées peuvent bénéficier d’une assistance soit directe, soit indirecte de l’Etat. Les formes et les modalités de cette assistance sont fixées par voie réglementaire ». A ce sujet, les journalistes attendent toujours ce texte. Toutefois, la RPDH tient à saluer l’initiative personnelle prise par le Chef de l’Etat en 2001, d’avoir octroyé un don de trois cent millions de francs cfa à la presse indépendante, à l’occasion de l’ouverture des assises de l’Union internationale des journalistes de la presse francophone (UIJPLF) tenues à Brazzaville. Même si sa distribution prenait en compte des destinataires improvisés comme le Centre international de presse et le centre de documentation des médias pour cent millions chacun. Les professionnels de l’information et de la communication attendent toujours la matérialisation de cette aide publique. De plus, il serait recommandé que ce type d’aide soit davantage formalisé, légalisé et pérennisé.

La loi existe mais elle accuse une insuffisance criarde de ses textes d’application. A ce jour, un seul texte d’application a été publié sur l’accréditation des journalistes de la presse étrangère. Les autres textes, environ une dizaine relative à l’aide de l’Etat à la presse, à l’accès aux sources d’information, à la messagerie de presse, et bien d’autres sont encore en cours d’élaboration dix ans après. Sans ces textes, la loi actuelle continuera d’être muette et constituera le terreau de la première atteinte pernicieuse à la liberté de la presse au Congo.

 

De l’environnement économique et social

A l’image de la démocratie, Jean Claude NGAKOSSO relève que « la presse congolaise demeure fragile. Son assise économique est précaire, le niveau de ses prestations bien médiocre. Les journalistes ou ceux qui en tiennent lieu, sont rarement des hommes d’expérience. La plupart n’ont, en effet, aucune expérience de l’écriture professionnelle et ignorent tout de la gestion d’une entreprise de presse »[i]. Cette observation nous amène à reconnaître que la presse congolaise, publique et privée, écrite et audiovisuelle s’inscrit dans un environnement assez contraignant marqué par l’étroitesse du marché publicitaire, l’absence des aides publiques, l’absence de couverture sociale, etc.

 

Les entreprises de presse sont dans la plupart des cas, des entreprises plutôt informelles et par conséquent déficitaires. Faute de moyens pour pouvoir faire face aux charges sociales et économiques, les journalistes s’exposent aux multiples tentatives de corruption. La pluralité des titres ne suffit pas pour prétendre se satisfaire de la liberté de presse dans un pays. Mais cette pluralité doit s’accompagner de l’indépendance de ces titres. Devant le spectre des titres qui disparaissent ou ne respectent plus leur périodicité, peut-on affirmer que ces titres sont indépendants ? L’alternative de la survie et de la disparition de ces titres constitue une réelle menace à la liberté de la presse. L’exonération prévue à l’article 97 n’est pas encore une réalité alors que des instruments juridiques internationaux le prévoient : la Convention de Florence de 1950 et le Protocole de Nairobi de 1968.

Le Congo n’est qu’au stade de l’adhésion à la Convention de Florence. S’exprimant sur la question des contraintes auxquelles les journalistes font face, Joachim MBANZA, Directeur de publication de La Semaine Africaine note dans une interview réalisée à cet effet que « on ne peut pas parler de la liberté de la presse s’il n’y a pas de presse indépendante. Lorsque les journalistes n’ont pas les moyens d’action, c’est une menace, c’est même dangereux pour la liberté de la presse. La liberté de la presse au Congo est menacée par le facteur économique ».

 

De la responsabilité des journalistes

La liberté de la presse ne peut pas s’exercer sans responsabilité des journalistes. La censure est officiellement prohibée par la loi et la Constitution. Malheureusement, elle a pris des formes subtiles qui prennent source au sein des entreprises de presse elles-mêmes à travers une autocensure abusive. « La crainte de déplaire au ‘’big boss’’ fausse le comportement des journalistes et dénaturent l’information : les gouvernants sont bons, leur politique est la meilleure possible ; seuls les esprits aigris ou égarés sont mécontents, etc… pareille hagiographie ne convainc pas grand monde. Les médias, en s’en faisant les supports s’aliènent la confiance de leurs usagers et subissent le tort du discrédit »[ii]. La loi sur la liberté de l’information dispose à l’article 10 : « Tout citoyen, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte manifeste au respect des droits humains et des libertés publiques ». Un sondage d’opinion mené par la RPDH auprès des consommateurs rapporte une absence notoire des émissions de débats contradictoires et des sujets de proximité dans les médias congolais. La RPDH estime que le journaliste est un éclaireur avisé, indépendant. Il dénonce les travers et encense les vertus.

Tout en saluant avec satisfaction l’existence de quelques initiatives entreprises par les journalistes sur la production des émissions de débats contradictoires, notamment oral et odyssée pour Télé Congo, dans la presque totalité des journaux, on relève une prééminence des sujets politiques sur les sujets de société, de l’économie, etc. Ce constat explique le fait que les médias congolais ne privilégient que bien souvent le traitement des informations qui arrangent en termes de retombées financières pour le journaliste et/ou pour son organe. Fort de cela, la presse congolaise se taie et se taira devant des contrats juteux. La liberté de la presse restera aussi muselée et intéressée.

Par ailleurs, la presse au Congo n’est nullement le quatrième pouvoir. Ainsi entend on souvent l’assertion populaire : « Le chien aboie, la caravane passe », pour expliquer que les médias peuvent parler, mais cela n’implique aucune incidence sur l’exécutif. La presse doit pour cela conquérir son statut de véritable pouvoir afin de jouer son rôle de contre-pouvoir.

 

Conclusion

La liberté de la presse semble se limiter au droit de chacun de créer une entreprise. Celle-ci n’a de valeur et de sens que lorsqu’elle s’exerce pleinement, librement et sans aucune entrave. Il ne suffit pas de remplir ses prisons de journalistes, d’en tuer quelques uns, de saisir des journaux sous presse, d’interdire des radios d’émettre ou les journaux de paraître et de confisquer ou saboter le matériel des journalistes pour porter atteinte à la liberté de la presse.

En pratique, les entraves à la liberté de la presse comporte des formes plus subtiles et plus pernicieuses au Congo, au point de rendre la dite presse servile et peu puissante, à savoir: l’absence des textes d’application de la loi ; l’absence des moyens ; l’amateurisme des journalistes ; l’absence de rémunération garantissant l’indépendance des journalistes ; le traumatisme et les peurs qui concourent à une autocensure abusive de l’information ; l’absence des émissions de débats contradictoires et la poursuite de la pratique du per diem.

Par ailleurs, s’il est admis que la presse peut être actrice et partie prenante du développement et un pilier de la démocratie ; elle ne doit pas nier sa responsabilité par rapport à sa mission traditionnelle : informer, toujours informer. Vingt ans après le printemps de la presse, la rupture n’est toujours pas observée entre journalistes et hommes politiques ; entre presse et chantage, entre presse et racket et entre presse et affairisme.

L’assainissement moral est une nécessité au stade actuel de la presse congolaise mais l’assainissement économique demeure et restera prioritaire, car, « on ne peut prêcher les bonnes vertus sans un minimum de bien être ». C’est dire que l’indigence est la mère des vices. La RDPH estime qu’il est urgent d’examiner la question du statut du statut social du journaliste afin de renforcer son indépendance.

 

Recommandations

Au regard de toutes les contraintes relevées et des défis qui restent à relever par les professionnels de la communication eux-mêmes mais également par le gouvernement et les associations professionnelles, la RPDH recommande :

1.Au Gouvernement de

- Publier tous les textes d’application de la loi n°8-2001 sur la liberté de l’information et de la communication

- Publier chaque année les versements reçus au titre de la Redevance audiovisuelle collectée par la Société nationale d’Electricité (SNE)

- Ratifier l’accord de Florence de 1950 et le protocole de Nairobi de 1948 sur la franchise douanière

- Contrôler l’application de la convention collective par les promoteurs des organes de presse

- Procéder au renouvellement du mandat du Conseil supérieur de la liberté de communication

- Associer la presse audiovisuelle privée dans la liste des bénéficiaires de la Redevance Audiovisuelle (RAV)

 

2.Aux professionnels de l’information et de la communication

- Relever le défi du professionnalisme

- Arrêter avec la pratique de l’autocensure

- Respecter la déontologie dans le traitement de l’information

- Organiser des émissions de débats contradictoires

- Renforcer la solidarité à travers la dynamisation et la création des associations professionnelles

 

3.Aux partenaires au développement

- Conduire à bon port le projet de création à Brazzaville, d’un institut de formation aux métiers de l’information et de la communication de l’Afrique centrale

- Appuyer davantage le renforcement des capacités et la structuration des médias

- Faire une évaluation à mi parcours du partenariat signé entre les médias et les agences du système des nations Unies

Brazzaville- Pointe-Noire, le 3 mai 2011

Le Bureau Exécutif

Tag(s) : #Droits Humains
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