Plusieurs villages du Congo, riverains des zones d’exploitations forestière ou minière ne bénéficient pas de la richesse extraite dans leur contrée. Leur seul bonheur, c’est voir circuler nuit et jour de gros camions chargés de bois ou de minerais en direction de la ville. Les villageois qui s’organisent en comité de défense des intérêts locaux sont souvent intimidés et découragés par les autorités. Dans le cadre du projet VERDIR financé à 1 million d’euros, l’Union européenne accompagne des ONG comme l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH), dans quatre pays d’Afrique centrale (Congo, Gabon, Cameroun, RCA) pour éveiller les communautés locales à bien suivre leurs intérêts dans le partage des richesses ainsi exploitées.
A environ 50 Km à l’ouest de Makoua dans la Cuvette, se niche le village Bokagna, plus ou moins 300 habitants. Depuis quelques années, les populations vivent l’extraction de leurs ressources naturelles sans bénéficier d'un seul centime. Les chefs d’entreprise qui exploitent la zone et les représentants de l’Etat sont accusés de complices de leur situation de précarité par les villageois.
"La société Andrad a construit la route d’Etoumbi qui passe par ici, elle a raclé toutes les richesses, sans rien faire dans le village. Même pas le gasoil pour alimenter le groupe qui éclaire le village. Nous sommes déçus par le type de contrat que signent les autorités avec ces sociétés", dénonce Adolphe Edziki, chef de village Bokagna, très énervé.
"Si les populations manifestent pour déloger ces sociétés, l’Etat enverra les policiers pour nous emprisonner, prétextant que les populations de Bokagna sont des bandits. Mais pourquoi ne règle-t-il pas correctement nos problèmes? Quel est le contenu du cahier de charges de cette société", s’interroge le dignitaire, toujours affolé.
Même les jeunes se plaignent de travailler dans les sociétés où ils n’ont aucun contrat écrit. "Je travaille à Wong Sam depuis une année, mais je n’ai aucun contrat. Souvent, ils s’amusent à nous foutre dehors sans respecter le travail que nous faisons", se plaint Jean Didier, un jeune du village Bokagna employé dans la scierie de Wong Sam.
C’est à 3 Km du village Bokagna que la société forestière a ouvert son chantier. Une scierie débite nuit et jour du bois. Des paquets de 100 pièces sont entassés et chargés dans de gros camions et quittent Bokagna sans rien ramener au retour. Avec un centre de santé délabré et sans équipement médical, les populations se sont plaintes auprès de la société Wong Sam, qui longtemps après avoir hésité, arguant que son cahier de charges ne le lui autorisait pas, a fini par offrir 40 tôles pour réparer le toit de l’hôpital du village. L’infirmier affecté dans le village se tape d’ailleurs les couilles en or à Makoua, conditionnant son arrivée dans le village à la réfection totale du centre.
Le Congo se bat à s’inscrire sur la liste des meilleurs élèves du Développement durable. Et sans conteste, son dossier évolue très bien, vu que l’engagement du pays est infaillible en matière de conservation de la biodiversité. Mais les populations riveraines des zones d’exploitations forestière ou minière peinent à vivre correctement. Elles estiment que l’exploitation des ressources riveraines de leur village est bien une opportunité de se doter d’un centre de santé, d’une école ou d’éclairage et de l’eau potable. Malheureusement, font-ils observer, ce n’est pas le cas. "Nous côtoyons, dans l’extrême pauvreté, la grande richesse qui passe sous nos yeux", souligne un ancien employé de la société Andrad.
Tout sort, rien ne nous revient !
Une phrase qui revient sans cesse. Telle une consigne, des femmes et des enfants nous la récitent. Les jeunes du village qui essaient, parfois par la force de faire tourner les avantages de leur côté risquent la prison. La police et la gendarmerie viennent souvent à la rescousse de la société forestière et de ses employés. Pas le temps de comprendre la situation, les légitimes et naturelles revendications des populations. "Mieux vaut se taire. Nous ne savons même pas quel est le rôle de l’Etat dans ce genre de situation. Les exploitants pillent et emportent tout, sous nos yeux", lance une habitante de Bokagna, en prenant le soin de s’éloigner du micro.
La situation de Bokagna reflète souvent le cas de plusieurs villages. A Makoua, par exemple, un complexe céramique va bientôt exploiter la richesse, le temps d’installer ses ateliers. Ici, aucun travailleur n’a le contrat. Les patrons et ingénieurs chinois ont plusieurs fois nargué les agents de l’Office national de la main d’œuvre de l’emploi (ONEMO). Les envoyant paître dans la nature, tantôt ils affirment que la situation se règle à Brazzaville, tantôt simplement ils indiquent le gouvernement est leur seul interlocuteur. Quant à quelques rares autorités qui s’aventurent par là, elles demandent à la population de coopérer, même au prix de l’esclavage, pour voir enfin ce projet sortir de terre !
A Bokanga et à la Céramique de Makoua, les travailleurs sont pointés à 3000 voire 4500 francs CFA par jour. La moindre absence, quoi que justifiée par un carnet de soins médicaux ou un cas social, pèse sur le revenu mensuel. "Ils nous prennent pour leurs esclaves. Ils nous gueulent et nous bastonnent sur le chantier, et quand nous répliquons, ils nous licencient sans autre forme de procès. Ceux des nôtres qui discutent nos intérêts sont aussi renvoyés", indique un jeune, employé depuis 2013 au complexe céramique de Makoua en qualité de manœuvre, parfois d’interprète aussi. Sur ce chantier de charpente métallique où il n’y a pas d’infirmerie, les ouvriers travaillent sept jours sur sept sans équipement de sécurité
Autres villages, autres réalités dans la Cuvette
A Epere, à une cinquantaine de kilomètres de là, Eco-Oil Energy expérimente un champ d’hévéa sur les terres Mouali. Pour le chef de village, le projet paraît à leurs yeux "comme des enfants qui s’amusent". "Tomona bango kuna lokola sakana, eloko ya malonga eya wana te", tempête le vieux sous sa paillotte.
Les villageois qui attendaient une compagnie d’envergure sont surpris par les petites activités menées dans leur village. "Le site où ils sont actuellement n’était que pour la pépinière. Nous attendons qu’ils passent de l’autre côté de la voie pour de grandes exploitations. Mais nous sommes surpris de voir qu’ils ont commencé à planter au même endroit. C’est de la blague, ils se moquent de nous et nous attendons voir jusqu’où ils iront", affirme le chef du village Epere.
Mais pour le chef de Zone de ce projet Hévéa à Makoua, Wilfrid Macaire Ekieba Oyoka, le travail a véritablement commencé. 14 hectares ont déjà été plantés sur les 10.000 à couvrir. Ici les ouvriers agricoles ne voient que le feu, avec seulement 1940 francs CFA de gain journalier sous les fourous et un soleil de plomb. "Bien que nous n’aurons pas mieux ailleurs, mais c’est quel salaire à la fin du mois ? Nous sommes vraiment surexploités", dénonce Suzanne, employée dans les champs depuis quelques mois. Elle fait partie de 93 ouvriers qui font vivre le projet.
"Nous nous tenons à la législation du pays. Parfois nous demandons au patron de faire plus pour ces hommes et femmes qui ploient sous le soleil, repiquant et arrosant les plantes sur des hectares avec des arrosoirs en main", dit pour sa part Jean Marie Nkembo, un consultant agricole employé par la société dans les champs.
Nombreux d’autres comme à Atma Plantation, voient les ressources nationales exploitées sans retour. Pas d’école primaire à Mambili ni de centre de santé. Au contraire, les pêcheurs doivent désormais aller plus loin pour espérer capturer du poisson sain. Celui trouvé sur place goûte le mazout et autres produits de vidange des véhicules. Selon les témoignages des défenseurs locaux des droits de l’environnement, la situation est pire dans les parcs nationaux comme Conkouatti Douli, Nouabale Ndoki ou Odzala Kokoua. "Mieux vivent les animaux que les hommes".